Marqué par trois ans de travail et un nouveau né, Adam Granduciel parvient enfin à donner suite à A Deeper Understanding avec I Don’t Live Here Anymore. Un nouvel album des War On Drugs plus clairsemé que ses prédécesseurs, sans réelle réinvention, mais dont le charme des compositions parvient une nouvelle fois à nous faire voir du pays.
Il existe de grandes histoires, celles qu’on se raconte dans nos têtes, ces grandes vies qu’on s’imagine vivre, ces romances, ces succès. Mais aussi ces drames, ces désespoirs du quotidien, ces démons qui nous suivent comme un petit chien en laisse. Tout un film (du genre blockbuster grand public) qu’on déroule, bercé par les oscillations de l’imprévu. Adam Granduciel, lui, a vécu un peu tout ça. Guitariste biberonné au classique rock durant ses années teen dans le Massachusetts. l’Américain n’imaginait alors jamais faire carrière. Jouer de la musique ? Un simple hobby, une occupation bonne à créer de nouveaux espaces d’évasion. Aujourd’hui, ce même Adam Granduciel basé à Los Angeles, a remporté avec son groupe The War on Drugs le Grammy de l’album rock de l’année pour A Deeper Understanding et a été sollicité par les Rolling Stones pour remixer un de leurs titres. Et il s’apprête désormais à remplir le Madison Square Garden sur sa nouvelle tournée. Pas mal.
I Don’t Live Here Anymore, donc, sort en cette fin d’année 2021. Un disque malheureusement covidé pendant de nombreux et longs mois, qu’on n’espérait ne plus voir sortir des cartons. Il va sans dire, évidemment, que l’attente est (très) grande, surtout quand vos deux derniers albums n’ont fait que placer le curseur un peu plus haut sur l’échelle de la claque (Lost In The Dream en 2014 et A Deeper Understanding en 2017). Surtout, aussi, quand vous avez le culot de sortir l’un des meilleurs albums live de ces dix dernières années dans une période où le live n’existe plus (Live Drugs, 2020). À quoi s’attendre, au final, d’un groupe qui a su établir sa formule si travaillée au fil des années ? Va-t-on assister au grand basculement sonique de cette formation qui nous a tant chéri de ses rock anthems ? Et bien non. « I don’t wanna change », chante Granduciel sur le bien nommé « Change », puis à nouveau dès les premières lignes du morceau suivant « I Don’t Wanna Wait ». En effet, même si la gratouille acoustique d’un « Living Proof » en ouverture ou les synthés très 80s d’un « Victim » laissent penser le contraire, lancer ce nouveau disque de War On Drugs donne un peu la sensation de retourner dans son ancienne maison d’enfance des années plus tard. Alors certes, le canapé n’est plus là, la moquette à disparu, mais les fondations sont toujours en place. Et les souvenirs aussi.
Pourtant, dès que Granduciel rallume l’ampli de ses Fender vintages, le tournoiement d’émotions repart à nouveau. Les riffs accrocheurs du rythmé « Harmonia’s Dream » libèrent la quantité de dopamine suffisante pour tenir la journée, tandis que l’imparable refrain de « I Don’t Wanna Wait » annonce un futur classique dans le répertoire live du groupe. C’est toujours accompagné de ce phrasé dylanien que l’on suit les péripéties existentielles d’Adam Granduciel, en route vers la lumière. « Feel the storm coming on / Feel the darkness at your gate / Live the loneliness of life / Keep on moving at your pace / Ain’t the sky just shades of gray / Until you seen it from the other side? / Oh, if loving you is the same / It’s only some occasional rain », dépeint l’intéressé sur « Occasional Rain ». Toujours obnubilé par son lyrisme météorologique (et parfois à la limite du cliché, il faut bien l’avouer), notre frontman vieillit avec ses affres, mais livre avec plus de sincérité que jamais le récit d’une vie forgée par les expériences, quelles soient bonnes ou mauvaises. Il n’en faut pas plus pour s’imaginer, tête dans le guidon et cuir sur les épaules, marcher dans la rue, perdu dans nos pensées, façon Springsteen dans le clip de « Streets of Philadelphia » (Granduciel a d’ailleurs appelé son fils Bruce, ça ne s’invente pas).
Moins épique que son prédécesseur, I Don’t Live Here Anymore se veut néanmoins plus harmonieux, plus ample, plus pop en laissant plus de places aux voix et aux mélodies dans cette americana plantureuse. Bien que ne bousculant pas une discographie fournie en qualité, le disque va cimenter un peu plus la position du groupe comme une des dernières grandes formation rock du paysage américain. Un succès possible grâce au perfectionnisme de Granduciel, capable de bosser sur un son de guitare pendant des heures ou de refaire une prise des centaines de fois, ainsi que sa collaboration avec le minutieux producteur Shawn Everett, déjà à l’origine de A Deeper Understanding. Il y a quelque chose de rassurant, de réconfortant, chez The War On Drugs. Comme un vieil ami qu’on recroise de temps en temps et dont on suit la réussite avec joie. « We’re all just walkin’ through this darkness on our own », chantent les grandioses coeurs féminins de Lucius, sur le single « I Don’t Live Here Anymore ». Un tourment, des souvenirs d’enfance, une référence au Dylan de « Desolation Road ». Et un refrain qui s’envole vers les étoiles. « I’m gonna make it to the place I need to go », et on devine ce visage illuminé coupé sur la pochette. Où que tu ailles, emmène-nous avec toi, Adam.
