Adulé ou détesté, qu’il soit enfermé dans un mutisme ou soudainement surproductif, Playboi Carti n’en reste pas moins dans toutes les bouches. Mais alors que le rappeur ouvre finalement le chapitre MUSIC tant attendu, peut-il désormais gravir un nouveau sommet ?
Il se passe rarement une année sans que je pense à ce Cyberwurld 2021. Ce soir d’août où, sans avoir la moindre idée du concept, je contemplais Playboi Carti dans ce décor cyberpunk, jouant son nouvel album devant un mur d’écrans, en pleine époque Covid. Le début de l’ère Whole Lotta Red, ses boucles terrassantes, les marées d’ad libs, et ce nouveau look de rock star. Presque cinq années se sont écoulées depuis cet album, et dans la traditionnelle jungle du rap US, c’est une éternité. Si ces cinq années ont bien confirmé un constat qui semblait rapidement évident, c’est que l’album rouge est un milestone du hip hop. Le genre de comète, totalement imprévue, qui traversa le ciel un soir de Noël pour changer le cours de l’histoire de cette musique. Rien que ça, oui.
Depuis, les nombreux ersatz essayant d’imiter le son Carti sont apparus, sans jamais apporter une plus-value. L’intéressé, lui-même, a lancé son label Opium, donnant naissance à ses propres imitateurs (Ken Carson ou Destroy Lonely). Bien sans plus. Mais nous y voilà, alors que les fanpages de rap ne passaient plus un jour sans tenir un calendrier à jour sur l’absence de l’artiste, tout s’est concrétisé ce vendredi 14 mars 2025. 30 titres. I AM MUSIC (ou MUSIC désormais). Tel un clébard abandonné pendant 3 semaines dans une énorme baraque, notre maître revient de vacances, la queue frétille. « I need that Back to the Future Carti / I need that four Alien Carti / I need that beep, beep, beep, beep, extra-terrestrial Carti. » C’est Kendrick sur MOJO JOJO, dont la présence surprend, qui parle le mieux de la métamorphose Carti. Un ovni, objet de fascination même pour le plus respecté des rappeurs, venu sortir de sa zone de confort pour se salir les mains en bavant quelques onomatopées jubilatoires. Ce qui en dit long sur le statut de Playboi Carti en 2025.
Rapidement, les minutes défilent, on encaisse : ça vibre, c’est agressif, brutal et hypnotique. L’excitation laisse place à un engluement sonore abrasif, le même qui nous faisait succomber à l’époque de Long Time (Intro) ou Stop Breathing. Puis, une sensation de déjà entendu. Comme une impression en surcouche d’avoir lancé un Whole Lotta Red 2.0, avec un énorme gap temporel. D’autant plus quand plusieurs des titres présents ici sont sortis depuis plusieurs mois (HBA, EVIL J0RDAN, K POP) et ne sont donc plus de première fraicheur. Une sensation qui s’estompera au fil de l’écoute en s’éloignant de l’ouverture Pop Out, mais qui confirmera néanmoins une chose : MUSIC n’opère pas de bascule sonore dans la discographie comme pouvait l’être son prédécesseur.
MUSIC n’ambitionne pas le chamboulement, l’album se veut être une célébration et réinterprétation d’une scène et d’une époque, celle de la trap d’Atlanta des années 2010, et ses figures comme Lil Wayne, Young Thug, Waka Flocka Flame ou encore Future. Ce dernier, que Carti semble vouloir à tout prix incarner au travers de ses innombrables modulations vocales (et stylistiques). Presque une humiliation en place publique, même, tant ses prédécesseurs sonnent peu inspirés dès que Carti leur tend le micro, rajoutant un peu de terre sur leur cercueil. DJ Swamp Izzo, autre figure locale, opère par ailleurs tout au long de l’album, comme ultime tampon de validation.
Mais est-ce bien suffisant, au fond ? En s’auto-proclamant maître des tendances, figure emblématique du hip hop actuel, adoubé par ses pairs (The Weeknd, Kendrick Lamar, Travis Scott), Playboi Carti décide de se complaire dans sa situation. Un problème quand, une autre influence majeure, celle de Kanye West, plane sur le modus operandi de l’intéressé, prêt à saccager les précédentes versions de certains titres et à rendre une copie brouillonne sans justification apparente (cette intro inutile sur EVIL J0RDAN, ou la transition avortée POP OUT / EVIL J0RDAN).
Attention, MUSIC n’est pas un mauvais album. Malgré ses quelques excroissances, l’ensemble tient solidement la route, et n’en reste pas moins supérieur à toute forme de concurrence sur ce créneau rage rap qui a ses nombreux adeptes. Car c’est aussi pour ça qu’on aime Carti, son too much permanent, de la tracklist overdose, à ses prods saturées, ses basses qui donnent la migraine, et ses ad libs inintelligibles. Ce trop plein expérimental qui nous a fait tomber amoureux en premier lieu, et qui a permis de faire voler en éclat une scène rap ronronnante, biberonné aux sorties industrialisées de Drake ou Future, autrefois précurseurs. MUSIC ressemble à un mood board où serait épinglé un peu trop d’éléments, et sans réellement chercher à en extraire une moelle qui produirait un tout cohérent ou disruptif. Ce quatrième album, blockbuster ultime du rap moderne aux allures d’un Utopia encrassé, occupera assurément l’année des fans, et tiendra une place honorable dans une discographie déjà fascinante. Mais l’auto-célébration de celui qui prétend désormais incarner la musique, tel Weezy en son temps, ne suffira pas pour offrir à MUSIC la même postérité glanée en 2021.
MUSIC – Playboi Carti (mars 2025)
