Les nuits de spleen viennent de trouver un nouveau compagnon en la personne de Mk.gee. Le multi-instrumentiste du New Jersey vient de sortir avec Two Star & The Dream Police l’un des albums les plus fascinants et déroutant de l’année, développant un mélange de pop et R&B fracturé sans équivalant.
Casquette visée sur la tête, Mk.Gee prend quelques secondes avant de s’avancer sous la lumière de Jimmy Kimmel, pour y interpréter son nouveau titre Are You Looking Up. La scène est immaculée. Michael Todd Gordon se demande certainement ce qu’il fait là, lui qui, habituellement, se planque dans le band de Dijon ou opère en sous-marin chez un Omar Apollo. Et puis une guitare dissonante surgit, le chant déraille, un étrange saxophone soprano surplombe la prestation tout du long. Quelque chose vient de se passer. Plus de place au doute. Oui monsieur, vous êtes parfaitement à votre place, sous la lumière.
« It’s okay to take a step back and to not just create stuff for content’s sake. » Cette phrase, prononcée par Mk.gee en 2020 lors de l’une de ses rares interviews, résume le personnage. Ses réseaux sociaux ? Le minimum syndical. Un plan promo ? Pas vraiment. La tournée ? Un projecteur braqué sur lui, dans une salle plongée dans l’obscurité. Car c’est bien la musique et la musique seule qui parle pour lui sur Two Star & The Dream Police, son premier album, qui lui vaut de voir désormais Bon Iver ou Tyler, The Creator se pointer à ses concerts.
Les fans de Dijon le connaissent déjà, les puristes sont sur le coup depuis 2018, alors que sortait l’aseptisé EP Pronounced McGee, aux prises avec le son du moment. Les prémices de la grandeur étaient là, sur A Museum Of Contradiction, en 2020. Mais le monde réel prend connaissance de Mk.gee cette année, alors qu’éclate sous nos yeux un disque qui sonne l’émancipation. Un disque pourtant cadenassé, rebutant, difforme, qui ne se laisse dompté que par les plus méritants. Sur Alesis, Michael semble chanter de la pièce d’à côté, les intrusions sonores se multiplient en fond sur DNM, et on le croirait donnant un coup de main en menuiserie à Frank Ocean période Endless sur le parasité Are You Looking Up (Frank qui joua You de Mk.gee sur sa Blonded radio, la filiation n’est pas anodine).
Pourtant, c’est bien des émulsions pop aux inspirations 80s qui nous giclent au visage chez le New-Jersiais, dans une réalité parallèle où Adam Granduciel serait tombé sur des disques de Michael Bolton plutôt que ceux de Bruce Springteen. Sous couvert d’une esthétique bedroom pop et lo-fi qui dissimulent le malaise de la facilité, Two Star abrite sur sa petite demi-heure des lignes mélodiques fabuleuses, qu’elles soient sur les lamentations désoeuvrées d’un Alesis, plongées dans un bassin d’effet sur l’assommant Breakthespell, ou joueuses sur l’intro New Low. « You’re the best I know / But late at night, I still question / All of my mistakes, » ouvre-il sur I Want. La nuit tombe, Mk.Gee se perd, on se perd avec lui. Les pensées libératrices fusent, le regard dans le vide. Comment ça, 2h du matin déjà ?
L’échappée est belle car elle est unique. Si l’album empreinte autant aux années 80, c’est pour mieux exploser toute comparaison en vol, et ce dès lors qu’il prend en main sa Fender Jaguar. Un jeu de guitare unique, malmenée par des irruptions brutales de distortion et baignée dans la reverb, qui lui vaut d’être l’objet de fascination de tous les gratteux, cherchant à décortiquer l’origine du « son » Mk.gee. Une identité, si reconnaissable et à la fois si étrange, réconfortante autant qu’enrichissante. Quittant ses acolytes musiciens d’adolescence pour mieux cultiver ce non-conformisme, abandonnant son cursus musical en école privée pour définir ses propres codes, loin de toute considération trop théorique, Mk.gee est est un loner arrivé à bon port. « there’s not a specific lane for me, so I need to create my own ». L’autoroute de la gloire t’attends, Michael.
Mk.gee – Two Star & The Dream Police (9 février 2024)
