C’est un premier mois relativement calme qui ouvre 2023, mais qui comporte son lot de surprises, dont la renaissance de Lil Yachty. Indéniablement le grand disque de ce début d’année.
Let’s Start Here. – Lil Yachty
Commençons par ce qui mérite d’ouvrir le bal, à savoir la métamorphose Lil Yachty qui porte un nom : Let’s Start Here. Repartons de zéro, comme semble nous prévenir l’intéressé pour quitter les terres du « mumble rap » et « soundcloud rap » qu’il conspue maladroitement lui-même, pour entrevoir des contrées nouvelles. On décolle ainsi vers des influences floydiennes (l’ouverture magistrale « the BLACK seminole. » qui donne le ton), des étrangetés façon Yves Tumor (« the ride- », Diana Gordon, présente chez Tumor, gravite également autour de l’album), et d’évidentes perfusions empruntées chez Tame Impala (« THE zone » entre autres). Le rendu final est éblouissant, magnifiquement produit et inspiré, bien aidé par la multitude de guests spécialistes dans le registre indie rock / psyché (Nick Hakim, Mac DeMarco, Jacob Portrait de UMO, Benjamin Goldwasser de MGMT, etc). Le première grande surprise de 2023.
MERCY – John Cale
Alors qu’on célèbre tout juste les 55 ans de l’abrasif White Light/White Heart, deuxième et dernier album des Velvet Underground auquel John Cale a participé, le Gallois aurait très bien pu disparaître et ne devenir que le fantôme de lui-même comme beaucoup à l’époque. Tout l’inverse. Depuis le début des années 70, Cale n’a jamais mis de côté sa quête du son, sortant des albums solo sur un rythme soutenu, collaborant aussi bien avec Patti Smith, Brian Eno ou Terry Riley. Sur MERCY, à 80 ans, c’est toujours ce désir de poursuivre ce travail d’exploration et de vivre son époque qui habite John Cale. En résulte un album déroutant, bouleversant, évoquant sans détour derrière sa voix pénétrante les événements politiques et sociaux majeurs de ces dernières années. Riche en instrumentations, l’ex-Velvet navigue tantôt côté hip-hop, ambient et musique électronique, en ralentissant le rythme pour mieux nous raconter, contre-pied d’un présent toujours plus pressé.
Get Real – CVC
Est-il possible d’être soi-même, tout en proposant une musique puisant dans sa quasi totalité dans des influences du passé ? C’est tout le pari de CVC, pour Church Village Collective, jeune formation galloise qui débarque aujourd’hui avec son premier album Get Real. Auto-produit et mixé par Ross Orton (co-producteur de AM des Arctic Monkeys), le disque est une démonstration de force : production léchée, un étalage d’instrumentations en tout genre, et un trio de voix à toutes les sauces. CVC pioche ouvertement dans un classic rock 70s façon Beatles ou Supertramp, espace lui-même déjà réoccupé par une multitude d’artistes contemporains, ce qui finit forcément par jouer en défaveur de Get Real, peinant parfois à dépasser le stade de l’imitation. Il n’empêche, l’album réussit son pari d’offrir une collection de compositions immédiates et percutantes, comme le funky « Knock Knock » ou « Music Stuff » et son refrain entêtant.
Today My Friend You Drunk The Venom – The Drin
Parce qu’il faut bien que ça crache un peu de temps en temps par ici, c’est les Américains de The Drin qui s’exécutent à remplir cette mission en ce début d’année. Très productifs depuis le début de cette décennie, les six membres en sont déjà à leur troisième album avec Today My Friend You Drunk The Venom. Une nouvelle épopée caverneuse où The Drin prolonge un univers post-punk et kraut introduit via leurs précédentes sorties, mais qui prend ici toute son ampleur. Le chant dégoulinant vient hanter des compos hypnotiques bâties sur des percutions bien mises en avant sur chaque titre. Une ambiance oppressante très réussie s’en dégage, sur un disque plus varié qu’il ne le laisse paraître, invoquant les fantômes de Joy Division (« Stonewallin’ »), partant dans un trip dub que ne renieraient pas les Fat White Family (« Eyes Only for Space ») ou capables de sombres errances psychédéliques (« Go Your Way Alone »).
Electrophonic Chronic – The Arcs
Ça aurait pu n’être qu’une courte parenthèse enchantée, le temps d’un album plébiscité (Yours, Dreamily, en 2015), avant la disparition. Celle de ce side project de Dan Auerbach, The Arcs. Mais évidemment surtout celle de Richard Swift, membre du groupe décédé en 2018. Alors que le groupe, composé à l’époque également de Leon Michels, Nick Movshon, et Homer Steinweiss, planifiait une deuxième sortie, plus rien. Jusqu’à aujourd’hui, où la formation a repris les sessions de l’époque pour enfin donner naissance à Electrophonic Chronic. Un condensé de ce son formidablement rock et soul, où brille de mille feux guitares, arrangements soyeux et mélodies. Ultime hommage à Swift, une vulnérabilité touchante se dégage de ce Electrophonic Chronic, et il aurait été dommage de ne jamais en profiter. Surtout quand, parallèlement, les Black Keys n’ont jamais autant battu de l’aile que ces dernières années.
