Rassurant, ce retour de Car Seat Headrest est-il réellement convaincant ?

Alors que certains n’ont toujours pas digéré Making A Door Less Open, presque vécu comme une trahison en 2020, Car Seat Headrest revient cinq ans plus tard avec The Scholars. Un album sexy sur le papier, suffisant pour nous refaire entrevoir le prime de la formation de Will Toledo ?

Il y a cinq ans, alors que le monde avait comme principale préoccupation de voir apparaître des traits rouges sur un bâtonnet blanc, d’être en pénurie de PQ ou accessoirement de voir le milieu de la culture s’écrouler, Les Strokes avaient de leur côté décidé de sortir l’un des moins attendus meilleurs albums de leur carrière. Un mois plus tard, le 8 mai 2020, l’un de leurs héritiers indirects, Car Seat Headrest, sortait le moins bon album de leur discographie. Making A Door Less Open, abrégé désormais MADLO dans la commu. Presque comme une manière de ne plus « prononcer l’album qu’il faut taire ». Car c’est un fait, en cinq ans, MADLO s’est doucement installé, de manière un peu exagérée, comme l’album de la honte. L’album du downfall, celui où les sauveurs de l’indie rock auraient, après une tambouille electro-indie-emo-rock, percuté la voiture du mauvais goût de plein fouet.

Évidemment, cet album n’est pas la monstruosité qu’on décrit, et présente même des éléments exaltants (Can’t Cool Me Down, Life Worth Missing, There Must Be More Than Blood). Mais le mal est fait, et une cassure s’est inévitablement installée en cinq ans entre le groupe et sa fanbase. C’est dans ce contexte qu’apparaît The Scholars chez Matador, le label de Car Seat Headrest depuis les albums Teens of, et qui s’attaque à cette grande mission qui consiste à nous convaincre que non, Will Toledo n’est pas finito pour la musique. Un album férocement marketé à coups de mots clés charmeurs, cherchant à renouer le lien : opéra rock, concept album, fiction universitaire, titres longs, indie rock à l’ancienne. Tout cela est-il vrai ? Un mirage ? Une opération reconquête ? Oui et non.

The Scholars est indéniablement un retour en grâce, comparativement à son prédécesseur. On y retrouve un son, ou tout du moins une volonté, remettant en avant les guitares et les envolées vocales de Toledo, les étirements instrumentaux sur de longues minutes, ou même cette thématiques si chère à Car Seat Headrest, l’émancipation juvénile, dans un contexte universitaire instauré par ces avatars aussi mignons que désoeuvrés. Une entrée en matière telle que CCF (I’m Gonna Stay With You) peut-elle, au fond, être annonciatrice d’un album décevant, tant tous les ingrédients des grandes heures de la formation y sont réunis ? Et pourtant, quelque chose n’est plus. Quelque chose qui irriguait Twin Fantasy dan son sillon lo-fi magnifié. Quelque chose d’immensément épique sur Teens of Denial. Quelque chose d’imprévisible et débordant sur How to Leave Town.

The Scholars en impose et déborde d’idées, de son arc narratif à ses revirements structurels, et presque rien sur ces neuf titres ne jure réellement. Du catchy Devereaux, aux écrasantes lamentations d’un Equals (Without a defense I stand / And ask if there’s something left to save / ‘Cause what was the point of these hands / If they could give nothing but pain?) jusqu’au onze minutes protéiformes de Gethsemane : on mange comme il faut. Mais une odeur de vêtement neuf sorti du plastique subsiste. À travers une trame fictionnelle étouffant le lyrisme de Will Toledo, une production un peu trop compressée, quelques longueurs surjouées (Planet Desperation) et surtout un son davantage orienté classic rock un peu guindé, la singularité des précédents albums s’est quelque peu perdue. D’autant que le processus faisant de Car Seat Headrest une entité collaborative n’a, pour ainsi dire, rien apporté de bon (Andrew Katz et 1 Trait Danger sur MADLO, ou ici l’horripilante voix du guitariste Ethan Ives, à qui l’on tend malheureusement de plus en plus le micro).

Coincé entre un désir de renouveau et un besoin de rassurer, The Scholars se retrouve, finalement, à naviguer dans un entre deux permanent. Suffisamment safe et soigné pour être apprécié par l’ancienne garde, mais trop boursouflé et old school pour laisser place au talent de Will Toledo, un peu noyé dans son tout narratif et collaboratif, lui qui autrefois menait la barque de son génie. Une phase de transition assurément, qui en dit peu sur la direction future du groupe, mais qui rassure, tant on ne savait plus quoi espérer d’un Car Seat Headrest malmené par la pandémie, tant physiquement qu’artistiquement.

The Scholars – Car Seat Headrest (mai 2025, Matador Records)