L’heure du verdict. Cinq ans après l’excellent The Slow Rush, certifiant une discographie sans fautes, Kevin Parker nous prend par surprise avec un Deadbeat à la sortie rapide, annonciateur d’une nouvelle prise de risque sonore. Celle de trop ?
À peine un mois et demi séparent ces lignes écrites à cet instant de l’annonce officialisée d’un nouvel album de Tame Impala. Cinq après après le dernier grand projet enchanteur de l’Australien, The Slow Rush. Cinq années. C’est long, mais c’est ce que la désormais proéminente fanbase de Kevin Parker est prête à attendre sagement, connaissant la minutie et l’implication du sorcier pour son art. Mais est-ce vraiment toujours le cas ? Celui qui d’antan admettait pouvoir passer des heures dans son studio à tweaker un son de batterie, confie désormais un certain lâcher prise dans son approche à la musique.
Deadbeat, cinquième album d’une discographie remarquable, amorce à nouveau un changement majeur dans l’identité sonore de Tame Impala. Le rock psychédélique des débuts a progressivement, non sans remous, laissé place à une pop psychédélique reluisante, avant de lentement s’ouvrir à des grooves et de nouvelles influences upbeat. C’est donc plutôt naturellement, là où les choses se sont arrêtées en 2020, que Parker nous retrouve derrière des platines pour dévoiler lors d’un DJ set à Barcelone le virage électronique qui nous attend (End of Summer). Une boîte à rythme, des errements vocaux, un étirement qui perdure, et rien d’autre. La soupe à la grimace.
End of Summer, titre de clôture de Deadbeat, n’est pas représentatif du disque, puisqu’il contraste totalement avec les bien plus conventionnels et très réussis Loser et Dracula, mais il amorce les velléités de longues dates de l’Australien : dévoiler au grand jour son amour pour la house et la techno. Ok, pourquoi pas, mais pour en faire quoi ? C’est là où la bât blesse. Si chaque fan de Tame Impala restant est désormais bien vacciné à l’idée de changement, Parker ayant su depuis un moment maintenant avancer avec brio sur une ligne de crête entre indie et pop mainstream, c’est pour en contre-partie toujours obtenir gain de cause : la promesse d’un contre-pied déboussolant mais enrichissant. Des couches instrumentales soyeuses, des lignes mélodiques qui mettent à genoux, des synthés aventureux à profusion. Tout ce qui fait la singularité de Tame Impala, en somme.
Mais au lieu d’infuser de sa magie sa partition, Kevin Parker fait presque entièrement table rase de l’identité sonore et structurelle de son alias pour se lancer dans un univers semi-club inconnu aux bifurcations incongrues. Quel est le projet derrière un No Reply et ses percussions qui tournent à vide ? Un Oblivion qui sonne comme du Jagwar Ma sur les rotules ? Ou un Ethereal Connection, certes audacieux, mais qui débarque comme un (gros) cheveux sur la soupe dans une incompréhension la plus totale ? Le trio de milieu d’album Oblivion / Not My World / Piece of Heaven qu’on appellera ici sobrement le tunnel. Heureusement, quelques moments gratifiants subsistent, comme l’entêtante entrée en matière au piano My Old Ways, le groove irresistible de Obsolete, ou l’évidente monstruosité tubesque Dracula qui fracasse déjà mon bouton repeat.
Aucune joie ici à participer à un quelconque bashing, tant les espoirs étaient grands suite au formidable The Slow Rush, mais Deadbeat offre peu, si ce n’est principalement de la frustration. Celle d’un disque sans réelle direction artistique, qui a au moins pour mérite de laisser transparaître une certaine authenticité et fragilité chez l’homme, mais qui permettra avant tout à Kevin Parker d’être playlisté et d’enchaîner les DJ sets aux quatre coins du monde. Une frustration d’autant renforcée, quand on réécoute les quelques courts moments de grâce purement tameimpalesques (l’outro de My Old Ways et Piece of Heaven, la deuxième partie de Obsolete) ou qu’on repense au travail réalisé sur le terrain de jeu de Justice pour Hyperdrama. Deadbeat n’était même pas initialement pensé comme un album de Tame Impala, et aurait pu être sorti anonymement sur Internet, comme confié dans son interview Apple Music. Mais sans le certificat de validé Tame Impala, qui prêterait attention à ces pistes de sept minutes balancées sur SoundCloud ? « Feels like it came out of nowhere this time », comme tu dirais Kevin.
Deadbeat – Tame Impala (2025)
